Peintre

Biographie

Portrait C. Barthelemy

Catherine Barthelemy est née le 1er mai 1951 à Lille.

Très tôt, Catherine Barthelemy commence à dessiner, encouragée dans cette voie par son père dont le jardin secret était l'art et la littérature.

L'enfance et l'adolescence sont rythmées par les nombreux déménagements de la famille, au gré des différentes affectations du père, officier de la Légion Etrangère : l'Indochine, le Maroc, l'Algérie, la Corse où cette tribu de sept enfants recrée son propre univers.

Installée dans la campagne tourangelle, Catherine Barthelemy se lie avec un peintre abstrait, Marinette MATHIEU qui la forme au sein de son atelier pendant de nombreuses années. Cette rencontre est décisive.

Catherine Barthelemy reçoit un enseignement basé sur le travail de la composition classique (natures mortes, paysages, nus), préalable nécessaire pour ce professeur rigoureux à un passage vers l'abstraction.

Ce cheminement lui permet d'évoluer vers une peinture non figurative où la matière et les couleurs prédominent, accédant ainsi à une expression juste et personnelle. Depuis 15 ans, dans la solitude de son atelier, Catherine Barthelemy a trouvé le bonheur de peindre.


1970-1973 — Ecole des Beaux-Arts de Nice puis de Tours
1972-1990 — Atelier de Marinette Mathieu
1987-1991 — Ecole du Louvre - Paris


Entretien

.... avec Olivier Barthelemy

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Regards

Catherine Barthelemy "L'intranquille"

Une oeuvre rayonnante qui irise notre vie.

Sa peinture est un volcan. Une irruption qui ne s'arrête pas. La lave ne sèche jamais car la couleur est plus forte que tout. Catherine Barthelemy a travaillé tout en même temps : l'architecture et le champ chromatique. Un travail de longue haleine. Un travail d'une vie qui a débuté par le figuratif pour devenir abstraction.
Et si c'est la couleur qui jaillit la première au regard, la force du mouvement en est l'onde de choc. Tantôt douces comme les gris qui courent sur ses grandes toiles ou diptyques, voire triptyques, tantôt tourmentées avec ses bleus et ses rouges qui hypnotisent notre regard, ses peintures demeurent impétueuses.
Derrière cette femme longiligne et frêle, se cache un être à fleur de peux qui laisse parler son couteau. Celui-ci court sur la toile, creuse, boursoufle, traverse en tous sens l'espace qu'il colore chaudement. Les univers de cette Tourangelle qui a élu domicile à Chanceaux-sur-Choisille, au nord de Tours, sont méditerrannéens. Ils sont le reflet d'une enfance gorgée de soleil aux quatre coins du monde, revisités en mémoire, et happés à Essaouira (Maroc) où elle se rend chaque année.

Les turbulences de la matière

D'apparence tranquille, le visage souriant, Catherine Barthelemy ne dissimule pas son être. Combative, engagée, assurée, elle travaille chacune de ses toiles avec la ferveur de ceux qui croient en leur art plus que tout. Indomptable, elle couvre ses grands espaces blancs de ses tourments et de ses joies. Chaque toile est une réponse. Aboutie esthétiquement. Jamais intellectuellement. Car, toujours, elle repart à l'assaut de ses montagnes intérieures en quête d'une perfection picturale. "L'intranquille" comme elle se nomme volontiers, n'en a jamais fini de tisser un monde en trois dimensions, tant les empâtements que l'huile donnent à ses toiles apportent matière à des langages bien intérieurs.
Catherine Barthelemy est une fulgurance. Sa peinture l'est par son éclat, et le visiteur n'a plus qu'à se laisser porter les émotions de la couleurs et les turbulences de la matière.
Une énergie jamais assouvie se dégage de chaque toile, donnant à deviner le corps à corps qui a fait naître l'oeuvre.
De l'intense au bout des yeux du moderato également qui traverse l'espace par vagues. C'est un monde en perpétuel mouvement, rythmé par des musiques intérieures où les cordes et les vents se disputent l'aventure.
Cette peintre est un vertige comme il n'est pas coutume d'en voir. Une nourriture céleste qui touche terre. Juste pour nous.

Des aventures de couleurs

Sur la coque des cargos rouillés, presque épaves, apparaissent parfois des aventures de couleurs,comme autant d'esquisses accumulées après de longs séjours en mer, gardant toujours fièrement la beauté survivante de leurs premiers étains.
Si les toiles de Catherine Barthelemy évoquent parfois au premier regard, de tels moments, c'est que dans leur manière tout autant tumultueuse et envoûtante de voir le monde se retrouvent les mêmes éclats minéraux et organiques. A cette différence près, cette fois, que le hasard a cédé la place à la nécessité absolue de naviguer jusqu'au fin fond de l'âme humaine.
D'où l'émergence de ces moments fulgurants. D'où l'urgence du propos qui va à l'essentiel. D'où cette volonté délibérée de montrer l'indicible, quitte à se surprendre soi-même, avec ses inachèvements, ses rages, ses hésitations, ses bonheurs, ses passions jamais éteintes, où la lumière intérieure devient matière picturale.
Ce qui surprend dans l'art de Catherine Barthelemy, c'est ce jaillissement de longs séjours en soi comme soudainement libérés. De ces aventures, que la couleur au plus fort de son embrasement et de son incandescence exprime, difficile de sortir indemne.
Ivre de couleur, bercé par des vagues incessantes, il n'est que l'être pour mesurer ainsi toute l'étendue de son propre univers, à l'image d'un monde qui le submerge.
Il n'y a probablement que l'"abstraction" pour exprimer ainsi, et de manière si évidente, la part la plus secrète de l'homme. Il n'est que la mer et ses abîmes, que frôlent souvent de vieux cargos pour délivrer de semblables messages.

Cathédrale de couleurs

Ce ne sont pas plus des abstractions qu’un champ de fleurs au printemps, l’ensemencement des couleurs au sein du rêve, le souffle de la matière parmi les irisations du soleil. Ce ne sont pas plus des abstractions que les blessures qui disparues continuent de nous hanter, les espoirs qui découvrent l’espace de leur accomplissement, l’apparition d’un désir enchantant la toile jusqu’à en devenir l’énigme. Ce ne sont pas plus des abstractions que le temps qui grandit en nous par l’étude et l’apprentissage, les fenêtres par lesquelles nous regardons passer les processions quotidiennes de la lumière l’union des formes, leur liquidité, leur lacération.
Des traces opaques s’imposent dans certaines parties de la toile : on croit chuter mais cette chute nous signe comme les témoins d’un espace dont les contrastes naissent pour accueillir la lumière.
Nous naissons tous avec l’espoir de nous connaître parmi les splendeurs de la nature. Catherine Barthelemy crée en reflet de cette aspiration : son travail s’est confondu avec le temps en un devoir. Devoir d’être au plus près des apparitions et des évanouissements de la lumière, devoir de dire la permanence des couleurs au beau milieu de nos souffrances.
Catherine Barthelemy donne forme à ce qui défait nos certitudes, prononce dans le silence du tableau une parole qui est celle de l’écoulement du temps parmi les noces de la matière et de la lumière. Équilibrées à leur origine par quelque nombre d’or qui ne veut résoudre aucune équation, et dont les couleurs vont effacer toute trace trop visible, ces toiles sont tantôt balafres pudiques tantôt icônes sans figure.
Peuplées de jaune, de rouge, d’ocre, de bleu, de noir et de vertige, elles sont les émanations de la haute féminité qui fait le monde.
Champ de fleurs mais fleurs entre vie et mort, couleurs mais couleurs entre vérité et disparition, surgissements entre mémoire et désir. L’atelier du peintre est le miroir de ce travail. La peinture aux élans maîtrisés sur le tableau est en ce lieu par ses éclats sur le sol comme l’argile au pied de la sculpture : il a fallu étreindre, en devenir les forces pour que cette union inscrive son souvenir sur la toile.
La demeure se change alors en cathédrale. Les couleurs dans leur profusion créent des voûtes sous lesquelles le regard de l’amateur se promène, recueilli devant telle composition, aimanté par tel triptyque démembré qui attend l’affichage de sa gloire à un mur.
Au détour d’un couloir un tableau se découvre comme le regard discret de l’alchimiste dans la pierre d’une église. Il ne peut en être autrement dans le lieu plus commun de toute exposition. Les peintures d’elles-mêmes multiplient ce foisonnement de secrets et d’étonnements qui n’est pas autre chose que l’expérience du peintre devant la couleur et l’enrichissement de notre regard. Ces objets d’admiration procèdent cependant d’un art de la répétition qu’il nous faut approfondir. Quelle est cette obsession à l'œuvre qui surgit en chacune de ces toiles ? Est-ce seulement la répétition de ces formes noires, sombres, têtues, qui viennent s’inscrire parmi ces équilibres jamais didactiques de couleurs ? Est-ce l’absence de titre aux toiles qui témoignent d’une œuvre continue, d’un continuum qu’aucune nomination ne peut apaiser ?
Est-ce la somme de toutes ces toiles peintes depuis tant d’années que ces mêmes formes noires viennent diviser dans leur nombre pour dire une unité perdue qui est celle de l’errance de nos vies à la rencontre d’une Parole ? Aucune vérité ne cherche ici à être affirmée. Si vérité il y a, elle cherche juste à faire entendre son intimité, partager le silence de sa langue, nous convier à rien d’autre qu’une admiration.
Nous voici devant des peintures et c’est curieusement le monde qui se rappelle à nous. "Je suis cette profusion de couleurs venues s’harmoniser ici" semble t-il dire. Je suis venu pour ce déploiement. Voyez combien d’éclatements me menacent, comme je suis l’héritage d’une dispersion.
Nous pouvons lui prêter ces quelques mots. Guère plus. Le silence englobe la Parole : nous ne faisons que supposer. Les tableaux de Catherine Barthelemy nous rassemblent pour que nous puissions nous réinventer à travers eux.
Il y a dans ce travail l’humilité d’un artisan. Nul besoin donner un nom à la chose que l’on construit sans cesse.
Pas d’autre vérité que ces avalanches de couleurs davantage suspendues dans le temps que dans l’espace.
Cette lumière est née de ciels jamais apaisés : c’est pourtant dans leur bonté que nous sombrons. Leur violence est nôtre, comme l’est celle avec laquelle nous ne voulons pas blesser autrui.
La peinture de Catherine Barthelemy est dans cette tension contenue et retenue blessure que le temps désire consoler et qu’une science des couleurs révèle jusqu’à l’atteinte d’une altérité salvatrice.

Malheur aux tubes...

Malheur aux tubes écrabouillés, malheur aux pots entamés, malheurs aux couteaux, aux pinceaux, aux doigts, aux mains, aux habits, malheur au sol, malheur au plafond ! Et pire malheur à tout ce qui est plat et pâle, malheur à la toile blanche ! Panique chez les châssis petits et grands ! Le peintre arrive, la couleur va charger, gicler, s'étaler, tracer, patiner, sécher, craqueler, revenir, suinter, surcharger, bosseler, déchirer, percer, creuser.
Quelle couleur ? Peu importe quelle couleur... Une lointaine période crayeuse comme le champagne, dont le souvenir revient parfois dans des rêves de blancheur, des années plus bleues, d'autres (la plupart) solaires et fruitées, orange, cerise, grenade, prune, victoire de magenta, je m'appelle garance, vieux bordeaux, sang de taureau, qu'un rayon d'or pourfend comme taureau la muleta. En couleur, Barthelemy profère ses quatre volontés.
Pourquoi quatre ? Parce que l'énergie du coloriste se soumet à la fée souveraine, Catherine Barthélémy, grand architecte de cet univers. Pour elle, seule compte la composition, l'équilibre des espaces, des poussées et des intensités. Et donc elle revendique ses titres de noblesse par quatre côtés : ses points cardinaux. Quitte à jumeler les rectangles, quitte à faire un carré de carrés, elle joue des parallèles, des angles droits et de leurs symétriques, enchâsse des embrasures, déploie des sortes de drapeaux, de damiers dégradés, de tissus mal rayés, qu'elle recoupe d'un coup de diagonale, et dans cette géométrie déhanchée, sans cesse réinventée, elle incruste d'énigmatiques sigles, stigmates mystérieux ou hiéroglyphes inconnus.
Peinture abstraite ? Barthelemy ne veut pas nous prendre la tête. Pensive, elle l'est, mais penchée vers nous. Son abstraction vient de loin. Passée jadis par la figuration, elle en a extrait l'essence de toute peinture pour aboutir à une création purement picturale.
Sa rigueur est la plus concrète, palpable à l'oeil, écrite sur le béton brut de nos vies, sur la roche, sur la terre, sur le sable, sur l'argile, sur la boue. Sans bavardage ni anecdote, elle raconte sa propre genèse, elle invite à sa lecture et relecture. J'y lis des corridors, des cachots, des chausse-trapes, une meurtrière. Demain j'y verrai des fenêtres, des embrasures, des ouvertures, un rai de lumière. Plus tard, la terre vue du ciel. Et pour finir, la peinture déterminée d'un peintre déterminé. Très déterminé, jusqu'à trouver l'assise parfaite, spatiale et mentale, réversible.  Accrochez. Retournez. Le haut en bas, en large ou en long, une oeuvre de Catherine Barthélémy est toujours elle-même : volontaire et posée, franche et réservée, jubilatoire et sobre. Bonne pâte, ça non. Empâtée ? à Dieu ne plaise. Pensée dessinée, force domptée, sagesse acquise, jeunesse du coeur.

Il y avait autrefois urgence, appel impérieux à occuper l'espace de la toile non pas comme une démonstration mais comme une nécessité vitale. L'artiste bataillait, imposait sa domination en apposant ses rouges claquants, ses couleurs fortes parfois sans ménagement, dans un ballet d'ocres et de noirs. Quelques petites masses colorées en suspens, quelques grandes griffures ne parvenaient pas toujours à adoucir la fermeture de l'espace.

Dans l'évolution d'un travail pictural, surviennenet des accidents infimes, des repentirs, des tentatives sans lendemain, des toiles bancales, là où se définit un rapport de vérité avec sa propre histoire picturale mais aussi avec l'histoire de la peinture.

C'est alors dans ces moments incertains que le recours aux recettes anciennes s'estompe et que s'allège le savoir-faire. L'air circule, la toile s'ouvre et renonce au petit jeu des formes, aux petites fictions superficielles : la composition s'épure, disparaît et accueille le rien qui n'est pas le vide. La toile se donne à nous, vidée de trop de propositions et ose enfin se dépouiller. Cet immense espace, cette respiration nous permettent d'approcher l'épaisseur du temps, enfin accepté dans sa lenteur et l'abandon qu'il exige. Le soi, les souvenirs, les sensations, - autant de couleurs apaisées, grisées, rosées, de camaïeux de bleus et de blancs - viennent là comme une palpitation ouverte dans la toile, avec une lumière née de la matière colorée, poreuse. C'est donc une acceptation de ce qui est révolte et dans le même temps la liberté de peindre qui s'affirme, guidée par le pinceau. La démonstration a quitté la place donnant sa chance à un peu plus d'intériorité, un peu plus de fluidité, des frémissements subtils, laissant la possibilité du rêve au regard. La légèreté de la touche, plus transparente s'allie à la profondeur et à davantage de mystère. C'est l'interruption de la poésie qui ne peut naître que la de la fragilité. De la peinture en somme.

"Le chagrin"
Toile Le Chagrin

Cette toile que tu as peinte pour moi, Catherine, en pensant à moi, à mon livre que tu venais de finir, il faut que je te dise combien elle m'a manquée durant deux ans, combien j'ai pensé à elle au point de ne pas dormir certaines nuits, jusqu'à ce mois d'avril 2013 ou je l'ai enfin récupérée. Tu l'as baptisée "Le Chagrin", comme mon livre, et il me semble qu'elle ma été livrée chez moi, à Paris, un matin de mars 2011.
Blandine et moi allions nous séparer très vite. Je suis parti en quelques heures, ivre de chagrin - tu vois comme ta toile arrivait à propos - n'important qu'un petit sac, la laissant accrochée dans notre grande pièce. Un jour, j'ai appris par une de mes filles que Blandine l'avait décrochée pour la glisser derrière le canapé. Je me suis rappelé qu'un soir elle m'avait dit qu'elle lui faisait peur, comme je lui faisais peut-être peur moi-même, parfois, et en somme elle l'avait cachée.
C'est à partir de ce jour que le désir de la revoir a grandi en moi jusqu'à devenir obsessionnel. Je ne voulais plus retourner là-bas, jamais et cependant j'ai envisagé d'y revenir clandestinement et de reprendre ma toile, mais nous savions, toi et moi, qu'elle était trop grande pour entrer dans une voiture et il aurait donc fallu que je la prenne avec moi dans le métro. C'était de la folie. J'ai commencé à ne plus dormir en songeant que le chat, se glissant sous le canapé, allait la détruire. J'ai commencé à faire ce cauchemar, ma toile lacérée, et j'ai su que si la chose survenait je ne m'en remettrais pas. Puis, sous le coup de l'obsession, j'ai pensé qu'il me la fallait pour écrire, que bientôt je ne parviendrais plus à écrire si je ne la revoyais pas - ça faisait trop longtemps, maintenant, et son absence devenait souffrance.
Deux années après mon départ, j'ai trouvé la force de retourner là-bas. J'ai loué un petit camion, bien trop grand pour le peu d'affaires que j'avais, mais suffisamment long pour que ma toile y entre. Tu n'imagines pas mon soulagement lorsque je l'ai retrouvée intacte derrière le canapé. Mon soulagement, Catherine.
Voila, c'était fini. Je l'ai enveloppée en tremblant, soigneusement protégée, et je suis parti comme un voleur. La nuit même, je l'ai accrochée dans mon appartement, à la place que je lui réservais, pratiquement dans l'axe de mon bureau de façon à la voir chaque fois que je lèverai les yeux de mon manuscrit. " Elle ne t'empêchera pas d'écrire " m'avais-tu dit doucement, et comme pour t'excuser, le jour où tu me l'avais présentée dans ton atelier. Elle m'était apparue à la fois tempétueuse et somptueuse, toute la profondeur d'une âme rassemblée là, au milieu d'autres toiles gorgées de soleil. Elle les écrasait de sa sombre présence. Comme je demeurais silencieux, tu avais fini par ajouter :
Si tu ne l'aimes pas, Lionel, prends en une autre, choisis celle que tu veux.
Je me demande encore comment une telle idée a pu te traverser.
Que j'en prenne une autre ? Tu l'as peinte pour moi et j'en prendrais une autre ?
Je vois comme tu la regardes…
Comme je la regardais, oui. Comme on regarde L'Idiot de Dostoïevski, ou Vie et Destin de Grossman, en songeant qu'une telle œuvre se mérite et qu'il allait me falloir des mois pour entrer petit à petit en elle, puis voyager en elle.
Chaque jour je voyage en elle, Catherine. Elle me devient plus familière au fil du temps, et cependant il m'arrive encore de découvrir un éclat de lumière que me cachait un nuage et de me demander…
Elle m'accompagne, comme Dostoïevski, Grossman, Bernhard et quelques autre, je l'aime, j'ai besoin d'elle, je ne pourrais plus me passer d'elle.

Si la couleur est aussi puissante dans l’œuvre de Catherine Barthelemy, elle ne tire pas son pouvoir de la séduction ni du sortilège mais plutôt de sa capacité à servir un rythme, une construction et un équilibre.
Lignes, frontières, marges, confins, seuils, bien sûr. Mais la savante pondération, la subtile balance des volumes n’occultent pas la belle matière frémissante de la peinture exhibant ses empâtements, ses épaisseurs, ses caillots, striée parfois de scarifications qui en soulignent la mystérieuse infranchissabilité.
Rien ne se laisse deviner en effet des espaces ainsi ouverts, aussitôt refermés par l’impassibilité d’un équilibre absolu que ne trouble aucun renversement. Si la fréquente double signature incite à ne pas se satisfaire d’un ordre convenu, l’invitation est pernicieuse : la toile retournée, un autre équilibre s’impose, comme une satisfaction mentale, la réitération d’un accomplissement mais aussi, simultanément, comme un obstacle définitif, récusant la fragilité imaginaire du tableau.
D’une certaine façon, l’œuvre amorce alors avec le spectateur un rapport de force dont elle sort toujours victorieuse, interdisant toute dérobade. Quelles que soient la violence, voire la stridence des rouges, des jaunes, l’insolence radieuse des mauves, l’architecture de la toile résiste. Mieux, elle tire sa force de toutes ces fulgurances maîtrisées, en provoque même les coruscantes harmonies pour affirmer son intangible souveraineté. Foncièrement ambivalentes, les formes elles-mêmes, remarquablement intégrées dans un "tout ensemble" que l’intentionnalité domine, sont aussi des blessures ouvertes, que la conscience et le regard apaisent et cicatrisent.
Sans doute, la tension jamais résolue entre l’indécence de la couleur – de la douleur – épaisse et grasse, et la royauté du nombre explique-t-elle en partie la fascination exercée par un travail persistant et incisif comme un combat.
Il n’est pas très surprenant que les éclats en soient mieux perceptibles sur les larges champs de toile des grands formats, à la mesure de cette dialectique vitale, où la pétulance le dispute à l’austérité.
Fortes, investies d’une autorité apparemment péremptoire, les toiles de Catherine Barthelemy sont aussi l’œuvre de l’artiste qui a "man que trema" (Dante, cité par Henri Maldiney). Dans cet incessant travail d’ouverture et de clôture contre laquelle viennent battre les forces palpitantes de l’intime, la peinture s’inscrit comme l’exercice de l’humain, érigeant sous les assauts des demi-habiles les flottantes murailles du questionnement.

Une autre saison

Aux tréfonds de l'oeuvre de Catherine Barthelemy, le regard d'un père officier de la Légion étrangère confondu dans celui du seul maître qu'elle eut jamais, une femme (Marinette Mathieu), réclame encore d'elle besogne et discipline ; leur nature, à présent morte, n'a pas déserté l'artiste. Au contraire. Mais la disparition des êtres chers éclaire maintenant sur d'autres pertes, aussi dramatiques, comme l'éducation au sensible dans une société déglinguée. L'artiste s'angoisse et l'hypersensible aussitôt se réfugie entre le choeur de ses Grands à elle (Rothko, Van Velde, Miro, etc.) et la nef remplie des souvenirs qui l'ont construite. Rien n'est fini. Un quart de siècle d'expositions, en France et à l'étranger, sont loin d'avoir épuisé l'expression de ce vers quoi elle avance, infatigablement, et qui nous intéresse : la recherche de l'équilibre.

Mélancolie transfrontalière

Après une année passée à produire cette exposition au Château, elle se dit "moins tourmentée" et s'illumine aisément car elle ressent pianissimo "une évolution dans [son] travail". Elle sourit d'ailleurs quand elle impute à l'âge ce changement de cap vers "une autre saison". Aux tempêtes hivernales de l'existence succède maintenant l'apaisement d'être "hors du temps".
Dans la solitude de son atelier, la musique jazz ne l'enjoint plus de "taper dans la matière", de faire exploser au regard de mille inconnus un noir d'outre-tombe au milieu de la toile ; à présent, elle écoute Schubert en boucle et devient l'illusoire duettiste de ses fantaisies musicales, elles-mêmes n'ayant pas assez de quatre mains pour retenir son pinceau à la mélancolie transfrontalière. De Chanceaux-sur-Choisille à la médina d'Essaouira, "la bien gardée", son esprit s'imprègne intensément de ses errances contemplatives, exaltantes. Absorbés, ces couchers de soleil ! Retournée, la couleur de cette terre ! Caressée, la blondeur du blé ! Le couteau en soliste, Catherine Barthelemy orchestre des rhapsodies de couleurs, aux empâtements mesurés, l'objectif fixé et la destination, pour elle et pour nous, inconnue. Le grand mystère.
Quand la petite et la grande musique s'arrêtent enfin, que les tubes sont éparpillés telles des douilles après une bataille savamment préparée, c'est sur un autre terrain d'exercice que l'emmènera sa chienne Havane. Dehors. Pour souffler. Ne plus penser cette fois, même au poil de l'animal fidèle rappelant la couleur du tabac, dont la vocation est, comme la vie, de se consumer lentement… Dernier coup d'oeil sur le tableau et cette certitude que l'huile encore fraîche saura conserver ses pensées, la porte une fois refermée derrière elle, et le foyer de la cheminée toujours incandescent.


Toiles

Toile 4421_80M
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Toile 4501_60F
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Toile 4525_25P
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Toile 4536_50P
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Toile 4537_50F
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Toile 4502_60F
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Toile 4515_30M
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Toile 4530_50F
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Toile 4517_50F
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Toile 4516_50F
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Toile 4519_50F
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Toile 4528_40F
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Toile 4531_80F
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Toile 4430&bis_2x20F
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Toile 4511_50F
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